De bons méchants ?

Dans le florilège de conseils donnés sur l’écriture, on entend souvent dire qu’un·e bon·ne méchant·e doit avoir une motivation. Autrement dit, des raisons d’être méchant·e. Et qu’un·e bon·ne méchant·e ne peut pas être méchant·e pour être méchant·e, sans raison particulière. Sans une histoire qui justifie l’origine du mal.

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette règle et je vais vous expliquer pourquoi.

Pour expliquer la méchanceté de l’antagoniste, on a souvent recours à la backstory : l’histoire du méchant ou de la méchante, souvent son enfance, qui raconte « les origines du mal ». Volontairement dramatique, le passé de l’antagoniste est bien souvent truffé d’épreuves sordides, de traumatismes et de blessures profondes. La backstory viendrait ainsi excuser la méchanceté : « Ce n’est pas sa faute s’iel est méchant·e, iel a été maltraité·e. » En somme, la méchanceté ne serait qu’un juste retour des choses, une vengeance légitime de l’antagoniste !

Mais pourquoi situer la méchanceté dans le passé ?

Pourquoi les motivations de l’antagoniste devraient-elles forcément provenir des ses souvenirs ? Pourquoi ne trouvent-elles pas leur source dans un désir bien présent ? Finalement, les backstories ramènent tous·tes les méchant·es, ou presque, à une même motivation : la vengeance. Oubliées la cupidité, la haine ou la soif de pouvoir. Tout antagonisme n’est que vendetta, accolant au passage une connotation négative à l’idée de vengeance.

Bien plus que de cantonner les antagonistes à la vengeance – forcément mauvaise, donc –, la backstory pose un autre problème de taille. Elle tend à diffuser l’idée fausse selon laquelle la méchanceté viendrait forcément d’une blessure et que les blessures transforment les gens en méchants. Cette vision, qui assimile les personnes blessées, folles, traumatisées, victimes… à de potentielles criminelles, vient renforcer les préjugés psychophobes. La backstory contribue ainsi à causer du tort aux personnes qui sont généralement les victimes et non les criminelles. À bien y réfléchir, ce seraient plutôt les protagonistes qui auraient besoin d’une backstory, non pour expliquer une quelconque méchanceté, mais une disposition d’esprit traumatisée qui pousse les personnes perverses et manipulatrices à les choisir comme proies !

L’usage systématique des backstories traumatiques pour expliquer la méchanceté nous fait croire à un lien de cause à effet entre blessures et cruauté. Or, si on regarde la réalité, non seulement les personnes traumatisées sont bien plus souvent victimes que bourreaux, mais lesdits bourreaux sont rarement les personnes les plus maltraitées par la vie. Au contraire, plus elles sont favorisées et bénéficient des privilèges dominants, plus elles tendent à s’éloigner des minorités et à les voir comme des groupes ennemis qu’elles peuvent opprimer.

Cette volonté de chercher des causes précises de la méchanceté fait en outre croire que « les méchant·e·s » sont une catégorie particulière de gens, tout autant finalement que les méchant·e·s « pure evil » (voire plus !) : tout le monde ne peut pas être méchant, vous devez avoir une backstory traumatisante pour cela. Comme si les personnes qui n’avaient vécu aucun traumatisme étaient toutes des anges de lumière…

De cette façon, la méchanceté devient paradoxalement une caractéristique essentielle et immuable, soit acquise définitivement, soit révélée par une épreuve, dont seraient exempts les autres personnages. Pourtant, à l’origine, la backstory venait justement apporter de l’humanité et de la nuance ! Son objectif était de dépasser la dichotomie entre gentil·le·s et méchant·e·s, en montrant que la méchanceté existe en chacun·e de nous. Or chacun·e de nous n’a pas forcément un passé traumatique. En revanche, chacun·e de nous peut ressentir au présent des désirs, de la haine, de la cupidité… autant de sentiments qui peuvent nous pousser à de mauvaises actions.

Vous le savez comme moi, la méchanceté existe en chaque individu. Mais ce qui la motive n’est pas à chercher dans des blessures du passé. Son origine se situe bien davantage dans une disposition d’esprit bien présente, elle-même combinaison d’un caractère intrinsèque et d’une éducation acquise. La méchanceté peut donc bien trouver sa source dans le passé, mais non d’épreuves subies, plutôt d’une vision du monde inculquée qui, lorsqu’elle se poursuit dans le présent, conduit à la haine envers les personnes qu’on a appris à détester.

Finalement, situer les motivations des antagonistes dans une blessure passée les déresponsabilise, comme si la méchanceté n’était pas un choix. Au contraire, la replacer dans une vision du monde apprise, et qui peut donc être modifiée, laisse la possibilité à l’antagoniste de suivre un arc descendant, en persistant dans ses actes, ou ascendant, en trouvant la rédemption.

Comme beaucoup de monde, les antagonistes « pure evil » qui ravagent et détruisent sans distinction m’ennuient par leur invraisemblance (oui, même si j’ai pu en écrire). Mais les antagonistes « enfants blessés » me fatiguent, par leur caractérisation psychophobe. J’aspire à des méchant·e·s bien plus raccord avec la réalité, dont les actions trouvent leur source dans leur éducation à la haine des groupes minoritaires, les stéréotypes et les privilèges de classe. En attendant d’en lire, à moi d’en écrire aussi !

À très vite !

ST

Publié par Sasha Touzeau Romans

Romans fantasy et science-fiction

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