On parle souvent de ce qui favorise la création et l’inspiration, d’où viennent les idées, quelles émotions font naître l’art… Mais on parle beaucoup moins souvent de ce qui vient entraver tout cela. Parce que l’écriture n’est pas une route dorée mais un travail de longue haleine, je vous propose de regarder quelques instants ses aspects les plus ardus.
Les bouffeurs de temps
Écrire, et en particulier écrire un roman, demande certes un don et du talent, de quoi écrire, des idées, une certaine maîtrise de la langue, un peu de culture… mais bien avant tout cela, écrire demande du temps. Vous pourrez avoir toutes les idées que vous voulez, si vous n’avez pas le temps de les coucher sur le papier, elles resteront à l’état de pensées…
Or le temps est devenu une denrée plutôt rare dans nos sociétés. En effet, dans nos journées remplies par le travail, les trajets en transports en communs, les corvées ménagères et administratives… comment voulez-vous trouver le temps d’écrire ? Dans ces conditions, écrire est moins un passe-temps, un hobby, une activité récréative et de détente qu’un combat de tous les instants pour grappiller la moindre miette de temps volé. On écrit où on peut, quand on peut, comme on peut, dans l’espoir que ces parenthèses décousues finissent par former une histoire cohérente…
La société actuelle valorise beaucoup les activités très productives et lucratives, et partant y accorde beaucoup de temps. Écrire, c’est donc par nature être un peu anticapitaliste… C’est en tout cas se battre chaque jour pour réserver un espace de temps à soi, pour exercer une activité qui semble tout sauf rentable, mais qui peut produire des choses très puissantes…
Les bouffeurs d’inspiration
Car de la puissance, l’écriture s’en nourrit et la transforme en une autre puissance. On parle souvent des émotions qu’un texte peut générer chez le lectorat. On disserte tout autant sur les émotions qui conduisent à écrire, qui favorisent l’élan créatif, qui sont évacuées par l’écriture. Pourtant, une méprise demeure souvent sur ce second point.
La plupart du temps, on s’imagine que ce sont la tristesse, la colère et parfois la peur qui alimentent le moteur de la création. On se figure l’archétype de l’artiste maudis, dont la souffrance est ce qui lui permet d’écrire les plus beaux textes. On croit fermement que pour produire des œuvres littéraires, on doit nécessairement avoir une santé mentale un peu défaillante.
Or, pour l’avoir expérimentée moi-même, je tiens à démentir cette idée. Si toutes les émotions sont utiles et alimentent l’écriture, on ne doit pas forcément être malheureuxe pour produire de beaux textes. Au contraire, les états dépressifs et anxieux notamment ont plutôt tendance à entraver la création. Comment voulez-vous vous mettre à l’ouvrage quand vous avez perdu toute motivation, que vous êtes persuadae que votre travail ne vaut rien, que vous angoissez quant à la façon dont il sera perçu ?
Les bouffeurs de motivation
Écrire est un travail qui demande beaucoup de temps et d’énergie, donc un état psychologique favorable pour tenir sur la durée. Cet état est bien entendu lié aux conditions matérielles dans lesquelles on vit et écrit. Une personne qui lutte tous les jours pour un minimum de confort de vie aura beaucoup moins le luxe de coucher ses pensées sur le papier qu’une personne qui n’a pas ces préoccupations.
L’écriture demande donc du temps et un état mental favorable, deux choses qui dépendent fortement des conditions de vie matérielle. Serait-ce une activité de riche ? Loin de moi de faire ce raccourci, considérant la précarité dans laquelle vit la majorité des autaires. Toujours reste que, justement, beaucoup d’autaires peinent à poursuivre par manque de moyens. Les mauvaises conditions matérielles occupent du temps passé à essayer de les améliorer et grignotent la santé mentale nécessaire à l’activité d’écriture.
Avec si peu de temps et d’énergie, la motivation est au plus bas. À quoi rime d’écrire, alors qu’on a déjà tant à faire pour essayer de survivre ? C’est quand on peut sortir un peu la tête de l’eau que l’envie de coucher des mots sur le papier peut revenir. Écrire demande aussi de l’énergie. On voit souvent à juste titre cette activité comme un moyen de décharger ses émotions, mais la construction d’un roman, d’un essai, d’un poème… demande souvent à l’autaire de « charger » ses idées et de mobiliser ses ressources pour construire son discours. Autant de choses difficiles à faire quand on en manque, justement, de ressources.
Vous le comprenez donc, l’écriture est un vrai travail qui a besoin de moyens pour être mené à bien. Bien qu’elle produise des objets de divertissement et que sa pratique puisse être tout à fait agréable, elle n’en reste pas moins une épreuve qui demande des efforts et des ressources. Une raison de plus de ne pas dissocier les œuvres des personnes qui les produisent…
Sasha T.
